Quand, lisant leur histoire, on regarde sur une carte la position respective de la Grèce et de la Perse, on a peine à comprendre que ces deux nations, situées si loin l 'une de l'autre et placées dans des positions topographiques si opposées, aient eu, à leur plus belle époque, leur sort si continûment conjugué.
La Grèce ? elle est toute en îles et en presqu'îles aux bords déchiquetés. Des rives de l'Ionie, à celles de la Grande-Grèce, de celles d'Afrique à celles de l'Hellespont, le monde hellénique du Vème siècle avant J.C. est formé de libres citées plus ou moins groupées en archipels et dont les flottes zigzaguent au travers d'une mer intérieure où se mirent trois continents. " La Grèce, a dit un poète, est une large main posée en souveraine sur la mer. "
La Perse ? elle est aussi terrienne que la Grèce est maritime. " Empire du Milieu ", l'appelle Grousset. En géographie physique comme en géorgraphie humaine elle justifie cette appellation. Les mers auxquelles elle accède au Nord et au Sud, mer Caspienne, mer d'Aral, mer Noire, et même golfe Persique, la bornent plus qu'elles ne l'ouvrent. C'est par terre que passent les échanges.
D'Ouest en Est, le plateau iranien bien qu'en partie désertique a, par ses bordures méridionales, jeté un pont entre la plaine mésopotamienne et la plaine indo-gangétique, faisant communiquer entre elles les civilisations de l'Asie antérieure et celles du monde sino-indien, tandis que, par sa bordure septentrionale, ce même plateau se trouve lié à l'immense monde des steppes qui y accède par les ouvertures du Khorassan, de la Bactriane ou du Caucase.
Il est généralement admis aujourd'hui que, par les passes du Caucase, sont arrivés au cours ou même à la fin de la deuxième moitié du IIième millénaire avant J.C. les Aryens historiques dont une partie se fixa sur le plateau, et dont une autre partie poursuivit sa route par-delà l'Afghanistan jusqu'au monde indo-gangétique.
Mais si l'Iran est, par sa position et sa configuration, terre de transit, il fut aussi terre de haute culture lorsque l'Empire Achéménide eut supplanté les Empires Assyrien et Néo-Babylonien.
Tout comme ceux-ci, et bien avant encore, comme tous les Etats Mésopotamiens qui se sont succédés du haut des âges, la Perse Achéménide regarde vers l'Ouest. Les deux premiers berceaux de notre univers civilisé, la vallée des deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, et la vallée du Nil avaient été dès l'origine en liaison l'un avec l'autre par la courbe de ce " croissant fertile " que dessinent, à travers les terres puis au long de la côte méditerranéenne ; les cours conjugués de l'Euphrate, de l'Oronte et du Jourdain. Trois mille ans plus tard, la Grèce a relayé l'Egypte, la Perse a relayé Ninive et Babylone. Le monde civilisé mi-hellénique mi-persan se présente, de même que le monde Orient-Occident de jadis, comme un dyptique dont la charnière passe tantôt à l'Ouest, tantôt à l'Est du rivage syro-égyptien.

C'est là que durant les Vème et IVème siècles avant J.C. se jouent dans la réalité de l'Histoire les scènes d'une nouvelle Iliade. Athènes et Sparte résistent avec succès aux tentatives d'hégémonie de Darius et de Xersès qui, en s'attaquant à la Grèce, visaient à l'établissement d'un empire universel. Cent ans plus tard suivra le choc en retour : pour la première et seule fois de son histoire, la Grèce, unifiée sous la domination macédonienne, tourne le dos à la mer et s'enfonce vers l'Est, reprenant pour son compte les visées impériales des Achéménides.
La prodigieuse aventure d'Alexandre n'eut pas les suites qu'il escomptait. Au terme de son périple, il avait tenté d'opérer la fusion de deux mondes, non seulement de deux cultures, de deux Etats, de deux modes de gouvernement, mais même de deux races dont son union avec la fille de Darius III, suivie d'un cortège de dix mille mariages gréco-perses, devait être le principe et l'emblème.
Mais les princes seulécides qui lui succédèrent se désintéressèrent de l'Iran. Le véritable héritier de sa pensée ne fut pas la Grèce mais l'Empire Romain dont la limite orientale, sans cesse en va-et-vient, atteindra parfois l'Euphrate, jamais ne le franchira.
La race iranienne était devenue, avec les Achéménides, la race impériale de l'Asie. Tandis que la Grèce ne s'élevait pas, en fait d'organisation politique, au-dessus de la " polis " et que " l'Etat " y reste " la Cité ", les Perses avaient élaboré un organisme qui, dans son unité, englobait des pays de races et de langues diverses, réunis par les rouages d'une vaste administration et protégés par une armée contre les invasions étrangères, surtout contre la menace permanente des nomades du Nord et de l'Est. Le langage que parle Darius dans les textes de fondations des palais de Suse et de Persépolis et que nous font entendre les pierres, les terrasses, les escaliers, les colonnes, les bas-reliefs de ces mêmes palais dressés pour la célébration annuelle d'un hommage, donne le ton de ce que fut cet Empire animé d'un esprit d'association plus que d'une volonté de domination.



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Date de création : le 31 janvier 1999 ©(1999,2000) Benoit Langrand. Tous droits réservés.
Mise à jour : le 17 décembre 2000